Pages : L’Art du Silence et du Feu
Dans une rue discrète du 16ᵉ arrondissement, à deux pas de l’Arc de Triomphe, se cache une adresse qui ne cherche ni l’éclat ni la démesure. Pages s’avance comme une feuille blanche, offerte à l’écriture du goût. Derrière cette sobriété se dessine l’univers de Ryugi Teshima, dit Teshi, chef japonais installé en France, qui compose une gastronomie où chaque geste s’apparente à une calligraphie, où chaque assiette est une ligne tracée avec précision et retenue.
L’espace, pensé par l’architecte japonaise Shinku Noda, prolonge cette philosophie : murs blancs, briques claires, cuisine ouverte comme un atelier, lumière maîtrisée. Rien d’inutile, rien qui distrait. L’esthétique est volontairement nue, presque méditative, afin que le convive concentre son attention sur l’essentiel : la vérité du produit et la justesse de la cuisson.

À la tête de ce lieu intime, Teshi a façonné un parcours singulier. Diplômé de cuisine et de sommellerie au Japon, il a perfectionné son geste dans de grandes maisons françaises avant d’imaginer Pages comme son propre territoire d’expression. Ses années passées aux Berceaux puis au Lucas Carton lui ont transmis la rigueur, l’élégance et l’exigence. Mais ici, il déploie une voix qui n’appartient qu’à lui : celle d’un dialogue permanent entre le terroir français et l’âme japonaise. À ses côtés, le chef de cuisine Kenichi Handa participe à cette écriture culinaire, veillant sur l’harmonie des saveurs et des textures avec une précision complémentaire.

Distingué d’une étoile Michelin, le restaurant affirme sa singularité sans ostentation : une table intime où le feu et le silence dessinent une gastronomie à la fois française et japonaise.


Dans cette cuisine ouverte, le charbon binchotan flamboie en sourdine. Cet outil ancestral japonais, dont la combustion pure et longue confère aux viandes et aux poissons une intensité rare, est l’allié du chef dans sa quête d’authenticité. Les braises, presque silencieuses, sont le cœur battant de sa cuisine : elles déposent une note fumée, affinent les textures, révèlent la noblesse des chairs. Ici, le feu ne s’exhibe pas, il se retient, il agit en profondeur, comme une encre invisible qui donne toute sa densité au trait.

La viande, véritable signature de Pages, illustre cette exigence. Dans l’armoire à maturation, les pièces patientent jusqu’à atteindre leur apogée : bœuf de Salers, Normandie, Holstein, ou encore Wagyu japonais, tous choisis avec une rigueur extrême. Chaque morceau est travaillé comme un objet rare, confié au binchotan qui en révèle la puissance contenue. La dégustation devient une expérience d’intensité maîtrisée, où le temps, le feu et la matière dialoguent dans une forme de dépouillement presque spirituel.


Cette quête d’équilibre se retrouve dans les menus : le midi, deux formules permettent de saisir l’esprit du chef, comme une esquisse délicate ; le soir, le menu en huit séquences se déploie en une architecture complète, construite pas à pas, du premier éclat au point final. Chaque plat apparaît comme une phrase, chaque cuisson comme un signe, et l’ensemble compose une écriture éphémère que le convive emporte en mémoire.


À cette partition s’ajoute la voix du sommelier Pierre-Alexandre Fouquet. Sa carte, pensée comme une bibliothèque d’émotions, aligne de grands Bourgognes, des cuvées confidentielles, des vins de Loire lumineux ou des trésors bordelais. Les accords ne cherchent pas le spectaculaire mais l’évidence : ils prolongent la cuisine de Teshi avec discrétion et profondeur, comme une encre qui épouse le papier sans jamais le recouvrir.

Ce qui frappe chez Pages, c’est la cohérence. Rien n’y est superflu, ni dans le décor, ni dans l’assiette, ni dans le service. Le convive est guidé avec délicatesse, accueilli avec une attention constante mais jamais envahissante. On ne vient pas ici pour une démonstration flamboyante, mais pour une expérience intime, où le silence et le feu s’unissent pour dessiner une mémoire durable.


Pages est ainsi bien plus qu’un restaurant étoilé : c’est une œuvre en mouvement, une écriture qui se renouvelle chaque jour, une architecture invisible qui s’élève dans l’assiette. On en ressort comme d’un livre dont certaines pages restent blanches, prêtes à accueillir de nouveaux souvenirs, de nouveaux instants de saveur.
RESTAURANT PAGES
4 RUE AUGUSTE VACQUERIE – 75116 PARIS
Jessy Cottineau
Crédits photos ©Leslie Touati pour Slowway Magazine, tous droits réservés.