
Balbosté : l’art culinaire de la métamorphose
La métamorphose est, littéralement, la transformation d’une chose en une autre. La transformation peut s’opérer dans la matière, mais aussi dans le subtil. Autrement dit, dans la forme et/ou dans le fond.
En cuisine, cette idée est d’autant plus puissante que la personne engagée dans son travail est spectatrice de la transformation des ingrédients qu’elle choisit, et ce du début à la fin de l’opération : de la sélection à la disposition en passant par la coupe ou la cuisson, elle est aux commandes du changement dans l’organique, mais aussi de la présentation de ses créations.
Ce rôle dual est incarné par Charlotte et Sayaka, les deux jeunes femmes qui se cachent derrière Balbosté (découvrez dans notre interview quelle est la signification de Balbosté ! ici). Venues de deux continents différents, l’une est française et l’autre, japonaise. Rien ne prédestinait à leur rencontre et pourtant, grâce à un heureux hasard (mais, en est-il vraiment ? :), elles se sont trouvées à Paris en novembre 2011.
Le fond appelle la forme
Leur première rencontre s’est faite d’abord visuellement, puisque c’est via Instagram que les échanges ont commencé. Charlotte, la fondatrice, fut captivée par les recettes de Sayaka. Incitée à la contacter, elles se donnèrent rendez-vous dans un café où elles discutèrent de tout et de rien, de la vie, de leurs goûts, sans jamais mentionner le mot business. Il n’était alors question que de passion, d’envies folles et de valeurs partagées. Après les mots suivit la pratique, et c’est une fois en cuisine qu’elles se sont réellement découvertes des points communs à exploiter, des talents à combiner, et des inspirations à partir desquelles composer… Et tout cela sans expérience professionnelle en cuisine -hormis des prédispositions insoupçonnées ! Car Balbosté, c’est aussi cela : un élan du cœur et un apprentissage sur le tard, ou l’illustration exemplaire du « quand on veut, on peut ».
Charlotte avait vu juste : les plats de Sayaka étaient aussi beaux que bons. Leur cuisine respective les faisait voyager, et partageaient le caractère d’une cuisine familiale, intelligente et proche de la nature. Après maints essais et recettes revisitées, les idées fusèrent. Petit à petit, Sayaka intégra le projet que Charlotte mûrissait depuis maintenant presque une décennie : lancer une marque qui mette en avant une expertise, des ambitions et qui ait de la personnalité, afin de proposer des créations colorées, raffinées, belles, bonnes et saines.
La forme fait écho au fond
La marque, qui a maintenant pignon sur rue dans le 10e arrondissement de Paris, est à l’origine un studio de création culinaire et événementiel. Aujourd’hui, il poursuit son travail avec les marques qui font appellent à lui, tandis qu’en boutique, on trouve des productions Balbosté, comme celles d’autres créateurs dont le travail fait écho à leur vision. Des produits alimentaires se côtoient sur leurs étagères –issu d’ingrédients naturels et végétaux, pour certains, rares, mais aussi des objets design de créateurs engagés. Partout, le fil rouge de leur concept créatif se tisse et ne se coupe jamais de l’idée originelle qui a donné vie à Balbosté : le lien au plaisir de la nourriture.
D'une beauté simple, l’apparence des créations food Balbosté cède bientôt à une complexité captivante, qui met en avant la richesse de ses inspirations. L’artisanat, les arts plastiques, la cuisine, mais aussi les approches techniques ou encore les rencontres qui égrènent leur parcours nourrissent leur travail. Un coussin inspire la création de leurs guimauves minimalistes, les cristaux d’agar-agar, d’épices, de yuzu, de prune et autres ingrédients se transforment en animaux mythiques, ou les pickels de légumes prennent la forme de fleurs stylisées.
On découvre dans ce mariage de cultures à la fois de la chaleur, de la légèreté, mais surtout une identité forte et parfaitement maîtrisée. Malgré un aspect net et propre, le travail de Balbosté ne s’inscrit pas pour autant dans un geste mécanique dénué de vie ; aussi, le passage de la main et ses marques sont présents, sublimés, et donnent le cachet de l’imperfection naturelle à des confections faites avec la plus grande sincérité. On sent qu’elles ne cherchent pas à dominer la matière -les ingrédients, mais à l’embellir par le biais d’un art culinaire qui possède une qualité dont seules les vraies âmes d’artistes peuvent se targuer : l’originalité.
À force d’observer, de pratiquer, d’associer, de rêver, elles en ont extrait un savoir-faire plein de délicatesse et d’ingéniosité, investi d’amour sous toutes ses formes –filial, de la beauté, de la saveur… Ainsi, leurs créations offrent un irrésistible attrait que provoque la combinaison juste de l’esthétique, du rituel et du goût.
Interview de Charlotte & Sayaka :
Bonjour Balbosté ! Pourriez-vous vous présenter ?
-Je m’appelle Sayaka, et je viens d’un village de campagne situé dans la préfecture de Shimane, au Sud du Japon. Je suis arrivée en France en 2007 avec mon mari. J’ai maintenant une petite fille, et nous vivons tous les trois à Paris.
-Et moi, je suis Charlotte Sitbon, fondatrice de Balbosté.
Quel est votre parcours ?
Sayaka :
-Lorsque je vivais à Tokyo, j’étais ergothérapeute, donc une carrière bien différente de ce que je fais maintenant, mais qui m’a beaucoup enseigné, notamment en ce qui concerne la patience, l’observation, l’adaptabilité, et m’a donné des ressources pour contourner les soucis et aller chercher des solutions.
Après mon mariage, la vie tokyoïte a eu raison de mon bien-être et de celui de mon mari. Nous avons décidé de tout quitter, prendre nos sacs à dos et quitter le Japon pour trouver du travail ailleurs. J’attendais de pouvoir voyager avec impatience ! Quelques mois plus tard, j’ai eu un Working Holiday visa d’un an pour Paris. Je n’ai pas pu reprendre mon travail d’origine, donc je me suis tournée vers un emploi dans l’import-export de produits japonais, où je suis restée 10 ans. Cependant, cela ne me convenait pas… Les envois à répétition d’un continent à l’autre, ce n’est pas écologique.
Dans ma vie personnelle, j’aime cuisiner des plats japonais pour ma fille. Elle n’a pas vécu au Japon comme elle est née à Paris, donc à mes yeux, c’est une manière de lui transmettre un bagage culinaire de ses origines. L’idée de la transmission est importante pour moi, c’est un marqueur d’identité qui grandira avec elle. Du coup, nous en profitions tous ensemble à la maison. À l’époque, j’avais commencé à prendre quelques photos de mes préparations que j’ai postées sur Instagram et voilà, Charlotte m’a trouvée comme ça !
Charlotte :
-J'ai étudié en art-graphique à l’Académie Charpentier. Après différents concours en Écoles d’Art et même d’Architecture (à l’époque, je rêvais d’être architecte d’intérieur), la vie me poussa vers autre chose : la communication visuelle. Je ne peux pas dire que j’étais ravie ! Je voulais m’exprimer autrement, mais je n’arrivais pas à trouver où, ni comment. Mon âme de créatrice me distinguait et en même temps, cette facette-là était étouffée par le métier que j’allais exercer pendant 8 ans en agence de publicité, entre Paris et Montréal. Ma polyvalence et ma capacité à faire passer des messages m’ont beaucoup servi, pourtant, j’avais des envies qui allaient au-delà des projets que je menais, et j’avais envie d’autre chose que de lancer des tendances. Surtout, être créative, pour moi, c’était aussi faire des rencontres. Or, de ce côté, je m’ennuyais et voulais voir plus de monde. En parallèle, je me suis alors mise à faire des petits projets personnels, des concours, histoire de rebooster ma créativité.
Finalement, je suis rentrée sur Paris, car ma famille me manquait. Toujours en agence et bien malheureuse, je quittais mon travail sur un coup de tête pour lancer Balbosté. J’ai fait une pause, j’ai pris soin de moi -le lendemain j’allais me faire les ongles des pieds, chose que je n’avais pas faite depuis des lustres !-, puis je suis partie à l’aventure sans business plan. Au début, j’ai démarré mon activité autour du rouleau de printemps revisité selon mes inspirations, et acceptais quelques commandes particulières en tant que traiteur.
Entre essais, recettes, et rencontres, tout s’est construit progressivement sur plusieurs années. Des personnes de différentes cultures et parcours ont croisé mon chemin, comme des étudiants de chez Ferrandi, brésiliens, italiens, coréens etc. Et enfin, Sayaka !
À la suite de nos échanges sur Instagram, nous avons fait connaissance normalement, sans parler business ni quoi que ce soit. Nous étions juste 2 personnes qui nous étions trouvées et qui partageaient plein d’inspirations et d’autres choses. On allait l’une chez l’autre pour s’entraîner, expérimenter, cuisiner… On se faisait découvrir nos mondes respectifs. Moi, j'ai voyagé au Japon grâce à la cuisine de Sayaka, alors que je n’y suis encore jamais allée ! Au fur et à mesure, nous notions les choses qui pourraient être intéressantes à développer en France, les produits et les compositions qui parleraient aux consommateurs etc
Tout cela a pris 4 ans depuis que j’ai quitté l’agence, mais a finalement mûri pendant 10 ans.
D’où vous vient cette relation particulière à la cuisine ?
Sayaka :
-De ma grand-mère, avec qui je vivais étant petite. Nous étions à la campagne, or là-bas, il n’y avait pas de supermarché. Je ne m’en rendais pas compte à l’époque, mais elle était autosuffisante. Elle cultivait, élevait des animaux, cuisinait, et je l’observais tout faire. Bien évidemment, tout était biologique naturellement, et de bonne qualité. J’ai toujours voulu conserver ce rapport à la nourriture. Pour moi, commander à manger ou manger des produits trop transformés n’étaient pas des options.
Charlotte :
-Quand j’ai décidé de quitter mon dernier emploi, juste avant ma décision, je consultais un dictionnaire yiddish sur mon ordinateur. Je suis tombée sur le terme « balbosté » qui signifie « maîtresse de maison ». Je me suis dit que c’était parfait, que se serait un hommage à ma grand-mère ! Ma relation à la cuisine me vient clairement de ma famille également, et ma créativité a nourri mon besoin de faire du bon et du beau avec mes propres mains.
Quel est le rôle de chacune au sein de Balbosté ?
Charlotte :
-Nous sommes vraiment le fond et la forme de Balbosté. Nous brainstormons toujours ensemble afin de se mettre au point sur les nouvelles thématiques à développer, les nouvelles idées à exploiter, la mise en forme… Moi, je m’occupe plus de la communication et de la présentation.
Sayaka :
-Moi, je suis très polyvalente et douée pour créer en cuisine. Nos inspirations croisées nous aident à nous comprendre.
Il est certain que nous suivons une ligne directrice marquée, mais ensuite, nous nous aventurons au-delà de nos zones de confort grâce aux collaborations.
Comment votre travail se distingue-t-il dans le monde de la création culinaire ?
Charlotte :
-Balbosté part vraiment d’un élan de créativité, d’observation, de savoir-faire appris sur le tard, et donc d’espoir. Aucune de nous deux n’était experte en cuisine, c’est la passion qui a motivé notre travail. Nous nous sommes donné notre propre chance de réussir, et cela donne de l’intensité à nos créations.
Aussi, nous avons toujours voulu faire croiser nos univers avec des formes d’expression diverses et travailler avec des corps de métier variés.
C’est cette liberté qui s’imprègne partout dans nos créations et qui manifeste notre sincérité, notre créativité, notre versatilité.
Avec Balbosté, nous conservons nos valeurs, tout en répondant à des projets qui nous challengent.
Et ce qui est important également, c’est que les gens aient envie de collaborer avec nous pour cela : élaborer un univers culinaire à l’identité graphique forte.
D’où vous est venue cette envie d'inviter l’art dans la cuisine ?
Sayaka :
-Tout nous inspire ! Pour la création de notre guimauve par exemple, Charlotte m'avait montré la photo d'un coussin !
Personnellement, je n’ai pas réellement d’artiste favori. N’importe quel visuel, objet etc. Peut faire jaillir une idée dans ma tête, puis donner vie à une création.
Charlotte :
-Pour notre prochain projet à venir (avec Les Néréides), c’est une peinture qui va nous guider. Le visuel est choisi en relation avec la thématique du projet, puis nous nous mettons à discourir et projeter autour de ça. Les marques comprennent que nos inspirations, quel qu’elles soient, nous amènent à créer du beau dans du content culinaire ; et c’est ce qu’elles aiment.
Les cours de cuisine sont-ils une manière de rester proche de votre communauté ?
Charlotte :
-Les ateliers permettent de rester proche des gens oui, de rencontrer de nouveaux visages, de discuter, d’être inspirées.
C’est toujours le rapport étroit entre une communauté et ceux qui la composent qui permet de faire vivre un individu, que ce soit via des conseils, des remarques, de l’aide, un échange… C’est le rapport humain qui nous enseigne.
D’ailleurs, certains clients fidèles deviennent presque nos ambassadeurs d’honneur ! Ils savent comment parler de nous, car ils nous connaissent, nous ont entendu parler de notre travail, et ont goûté à nos produits. Ils savent que nous sommes sincères dans tout ce que nous entreprenons.
Quels sont vos projets à venir ?
Charlotte :
-Des projets bien différents les uns des autres que nous gardons pour l’instant secrets !
Nous allons également reprendre les ateliers et développer davantage ceux destinés aux enfants. L’idée est de mélanger artisanat, cuisine, DIY, selon des thématiques que nous peaufinons actuellement.
Sayaka :
-Nous aimerions beaucoup travailler plus à l’étranger aussi. Pour l’instant, notre relation à l’étranger est liée à la commercialisation de produits artisanaux japonais, mais nous déplacer pour des projets serait super.
Charlotte :
-Avant tout, nous voulons nous mettre d’accord sur la manière dont Balbosté va grandir, car nous aimons aussi notre rythme de vie, prendre le temps de bien travailler, notre sérénité, et un temps de qualité avec nos familles.
Quelles sont les personnes qui vous inspirent ?
Charlotte :
-Sarah Andelman, la fille de Colette, est à mes yeux, un exemple de réussite. Avec son concept store, elle a lancé un projet précurseur. C’est une femme avant-gardiste avec une identité forte, hors-norme. Mon père également, un homme persévérant, sûr de ses choix, intransigeant, mais transparent et vrai. Un vrai fonceur, dont je tiens !
Sayaka :
-Personne en particulier, tout le monde en général ! J’observe les gestes et les méthodes chez d’autres experts. En fait, c’est plus la maîtrise qui m’inspire, que la personne. Comme j’aime trouver des solutions pour que les choses soient accessibles à tout le monde, notamment pour les ateliers, pour moi, tout est bon à apprendre et à connaître si cela facilite et magnifie une création.
Quelle est la qualité que vous cultivez le plus ?
Charlotte et Sayaka :
-Pas qu’une seule ! mais clairement, la sincérité.
Charlotte :
-Sinon, personnellement, je suis fonceuse, spontanée, passionnée.
Sayaka :
-L'observation, l'adaptabilité, la raison.
Dans notre petit monde qui s’épanouit, quelle est votre part du colibri ?
Charlotte et Sayaka :
-Nourrir la créativité, la transmission, le partage.
Merci Charlotte et Sayaka pour ce bel échange.